Elections en Egypte

Ainsi l’insoutenable incertitude est enfin résolue. Moubarak est élu Président de la République en Egypte cf. article sur RFI.fr ! Mais malgrés cela, ces élections sont une avancée dans la démocratisation. L’Egypte me fait penser au Mexique par bien des aspects, avec cette différence essentielle que l’économie egyptienne est en lambeaux alors que celle du Mexique, malgré tout, est encore solide [1]. Là où la ressemblance est forte c’est dans le processus d’ouverture politique.

En effet, l’Egypte comme le Mexique il y a de cela 20 ans passe d’un système de Parti-Etat à un système multi-partite (avec plusieurs partis, mais surtout avec plusieurs modes de mobilisation des ressources, y compris en dehors de l’état) [2]. Le Parti Révolutionnaire Institutionnel mexicain a été pendant toute son histoire non seulement un lieu pour gérer les affaires de l’état, mais surtout un lieu pour gérer les conflits, éviter la violence politique de groupes et factions qui se transformeraient en bandes armées, assurer le maintien de l’ordre public par le contrôle social des quartiers -notamment pauvres-, et fournir un emploi à tous. Le PRI était devenu le plus grand marché du travail du Mexique. Avec le début des années quatre-vingt, la crise économique rend inviable ce système, car il y a trop de fuites : fuite de capitaux, fuite de la main d’oeuvre vers les Etats-Unis, fuite des ressources publiques vers les poches des dirigeants sans passer par les caisses du Parti). La solution adoptée par Miguel de la Madrid, puis Salinas, puis Zedillo a été la libéralisation.

Mais en termes politiques cela a signifié la démantélement du système du Parti-Etat. Aujourd’hui le PRI est dans l’opposition ; il n’est pas certain que les membres du PRI soient plus mal en point qu’ils ne le furent sous la présidence de Salinas. Et le PRI a des chances de gagner les élections proprement.

L’histoire politique de l’Egypte moderne, post-nassérienne, devrait être lue à la lumière de l’expérience mexicaine (d’autant plus que la société mexicaine est aussi stratifiée et excluante que semble être la société egyptienne, sans parler de la fierté nationaliste et du véritable rayonnement culturel des deux pays dans leur aire culturelle respective).

On pourra lire un commentaire de Sara Ben Nefissa ci-dessous (article du 13 septembre 2005) sur les élections de 2005 :

(...) il est faux de croire que ces élections étaient une simple « mascarade », comme se plaisent à le répéter les tenants du boycott des élections, destinée à soigner l’image internationale du régime égyptien. En fait, les résultats de ces élections ont, bel et bien, abouti au contraire. Le président sortant a été élu par la majorité d’un corps électoral qui ne dépasse par les 23% des inscrits, et l’enjeu principal de ces élections était bel et bien le taux de la participation électorale ainsi que les conditions véritables du déroulement du scrutin. De ce point de vue, cette première élection présidentielle peut être considérée comme une avancée positive de la démocratisation du régime.

Lire sur les préparatifs des élections : Egypte : l’opposition peine à s’organiser
(Article sur RFI.fr)

J’en profite pour signaler le livre EXCELLENT de Sarah Ben Nefissa et Arafat Alâ’ Al-dîn, Vote et démocratie dans l’Egypte contemporaine aux éditions Karthala et IRD (Isbn : 2-84586-655-0 / Ean 13 : 9782845866553), 279 pages

Présentation de "Vote et démocratie en Egypte"

Toutes proportions gardées, l’attitude des électeurs occidentaux tend aujourd’hui à se rapprocher de celle des électeurs des pays du Sud : les premiers ne sont-ils pas en train d’expérimenter, pour des raisons et selon des modalités distinctes, ce que vivent les seconds : la " mal représentation ", la réduction de la marge de manœuvre des États et l’incapacité des dirigeants politiques à transformer la société ? À partir d’une enquête de terrain approfondie dans un village égyptien et d’une série de témoignages de personnalités ayant participé aux élections des périodes " libérale " (1924-1952) et nassérienne (1952-1970), cet ouvrage cherche à remettre en cause un certain nombre de présupposés sur le comportement politique et électoral des Égyptiens. Il montre comment, avant le contrôle des juges sur les bureaux de vote en 2000, " des élections sans électeurs " pouvaient se tenir. Il souligne l’importance des enjeux politiques et électoraux locaux avec lesquels le pouvoir central égyptien se doit de composer, tout comme il récuse l’idée d’une domination des individus par les différents communautarismes qui les empêcherait d’opérer des choix " politiques " au moment du vote. C’est l’individu qui construit et reconstruit sa " communauté " en fonction de ses intérêts, et l’un des temps forts de cette reconstruction est le temps des élections. En redonnant à l’individu/électeur son poids dans la transaction électorale, le contrôle des juges sur les bureaux de vote a conforté cette donnée et peut être considéré comme une avancée positive pour la démocratie électorale égyptienne.

Sommaire

  • ELECTIONS LEGISLATIVES 2000 : DEBUT D’UNE DEMOCRATISATION ELECTORALE
    OU « FIN DU POLITIQUE »
  • Le blocage du processus démocratique égyptien
  • Indicateurs, résultats et significations des élections 2000
  • Les fonctions du député
  • LE VOTE EGYPTIEN DANS L’HISTOIRE
  • La période libérale : le plébiscite pour le dépositaire de la volonté nationaliste et sa remise en cause
  • La période nassérienne : la monopolisation du politique par l’Etat-providence
  • L’acte électoral à partir de Sadate : le retour du politique et du débat sur la norme électorale
  • Trucage du " haut " et trucage du " bas "
  • Le retour de l’électeur individuel

Sarah Ben Néfissa, politologue, est chercheur à l’Institut de recherche pour le développement. Elle a codirigé plusieurs ouvrages collectifs : avec Sari Hanafi, Associations et pouvoirs dans le monde arabe, paru en 2002 chez CNRS Éditions ; avec Nabil Abdel Fattah, Sari Hanafi et Carlos Milani, ONG et gouvernante dans le monde arabe paru en 2004 aux éditions Karthala/CEDEJ. Elle a également publié de nombreux articles sur la société civile et la démocratisation en Égypte et dans le monde arabe. Alâ’ Al-dîn Arafat est docteur de l’université de Tanta en Égypte et spécialiste des relations internationales. Il a publié deux ouvrages en arabe : Les relations égypto-américaines de 1919 à 1939 et Les relations franco-égyptiennes de 1923 à 1956 : de la coopération à la conspiration. Il séjourne actuellement à la School of Oriental and African Studies à Londres comme chercheur invité.

Le temps de la « transparence »

PAR SARAH BEN NÉFISSA

Article paru dans Le Figaro, 13 septembre 2005.

L’Egypte vient de connaître sa première élection présidentielle au suffrage universel direct entre une dizaine de candidats suite à la décision historique du président Moubarak, en mars 2005, de modifier l’article 76 de la Constitution. Depuis la révolution des Officiers libres de 1952 qui a aboli la monarchie parlementaire, les présidents égyptiens étaient élus par référendum sur un candidat unique désigné par l’Assemblée du peuple. Pourtant les nouveaux résultats ressemblent étrangement aux résultats des référendums précédents : Moubarak a été réélu par 88% des votants, devançant très largement les 9 autres candidats et notamment ses deux concurrents « dangereux » : le bouillonnant Ayman Nour, chef du parti el-Ghad (Demain) et Nooman Gomaa président du néo-Wafd, héritier du Wafd historique de la période libérale (1924-1952). Constat encore plus intrigant pour un observateur extérieur à la scène politique égyptienne : cette première élection présidentielle n’a attiré en tout et pour tout que 7 des 32 millions d’inscrits, alors que le dernier référendum présidentiel en 1999 sur le candidat unique Hosni Moubarak présentait des chiffres officiels de participation électorale proches de 18 millions de participants.

L’issue des élections au profit du président sortant était une évidence pour tous en Egypte, tant le déséquilibre des chances était flagrant entre Hosni Moubarak, chef du Parti national démocratique et de l’Etat et les autres. Sur les 10 candidats qui se sont présentés, 7 étaient des figures inconnues, non seulement pour les citoyens ordinaires, mais aussi pour la classe politique et intellectuelle. De même, la principale force de l’opposition, les Frères musulmans, n’a pas présenté de candidat. Enfin, les deux principales formations politiques de la gauche égyptienne, le Rassemblement progressiste unioniste et le Parti arabe démocratique nassérien, ainsi que le mouvement Kifaya, ont décidé d’appeler au boycott à cause des conditions draconiennes imposées par la réforme de l’article 76 aux candidatures potentielles à la présidence.

Pourtant, malgré ces données, il est faux de croire que ces élections étaient une simple « mascarade », comme se plaisent à le répéter les tenants du boycott des élections, destinée à soigner l’image internationale du régime égyptien. En fait, les résultats de ces élections ont, bel et bien, abouti au contraire. Le président sortant a été élu par la majorité d’un corps électoral qui ne dépasse par les 23% des inscrits, et l’enjeu principal de ces élections était bel et bien le taux de la participation électorale ainsi que les conditions véritables du déroulement du scrutin. De ce point de vue, cette première élection présidentielle peut être considérée comme une avancée positive de la démocratisation du régime.

La première victoire de cette élection est la victoire de la « transparence » qui est l’un des piliers de la démocratie. Le régime égyptien a finalement annoncé officiellement les chiffres vrais de la très faible participation électorale. Par la même occasion, il a implicitement admis que les chiffres élevés de la participation électorale lors des référendums présidentiels et des élections législatives de la décennie 1990 étaient des chiffres faux, car entachés par le trucage et le bourrage des urnes.

La seconde victoire de ces élections est relative au déroulement du scrutin. Malgré les dépassements, les irrégularités et les déviances relevées ici et là, ces élections n’ont pas donné lieu aux pratiques brutales de trucage et de bourrage des urnes des décennies précédentes. Le Parti national démocratique, parti du président sortant, a, pour la première fois dans son histoire, compté sur la mobilisation de ses clientèles et non pas sur le soutien de l’appareil administratif et sécuritaire. De même, la nouvelle équipe qui le dirige a organisé une campagne électorale professionnelle pour le président sortant, qui a défendu un programme politique axé notamment sur la lutte contre le chômage.

Ces deux avancées positives de la démocratisation électorale ne sont pas fortuites. Elles sont le fruit du nouveau climat politique de l’Egypte de ces derniers mois, marqué incontestablement par plus de liberté d’expression et d’action, comme l’attestent la multiplication des journaux indépendants et les manifestations quasi quotidiennes. Les pressions externes et la mobilisation des élites et des nouveaux mouvements de protestation comme Kifaya se sont conjuguées pour faire de la revendication démocratique un élément central du débat politique. Elle a été axée sur la demande d’une réforme constitutionnelle profonde avec notamment des changements dans les modalités de l’investiture à la fonction présidentielle. De même, elle s’est polarisée sur la question électorale et les modalités pratiques et techniques du vote dans ce pays. D’où les polémiques qui ont précédé l’élection présidentielle autour des observateurs étrangers et du contrôle des élections par les organisations de la société civile. L’acuité du débat a été renforcée par le mouvement de révolte des juges égyptiens qui après avoir menacé de ne pas superviser les élections présidentielles si le régime ne leur assure pas des garanties pour contrôler l’ensemble du processus électoral, ont finalement accepté de remplir cette mission tout en précisant qu’ils n’hésiteront pas à rendre compte des malversations. A la vieille même du scrutin du 7 septembre, la commission officielle en charge des élections a finalement autorisé les ONG à contrôler le vote à l’intérieur des bureaux.

Le principal résultat de cette première élection présidentielle est d’avoir mis l’accent sur le phénomène de l’abstentionnisme électoral en Egypte. Il est traditionnellement lié au peu de confiance des citoyens dans la sincérité des urnes et au faible crédit accordé à l’ouverture politique du régime. La mobilisation des acteurs de la revendication démocratique - notamment celle des juges et des ONG - a peut-être contribué à redonner confiance à l’électeur égyptien dans le jeu électoral. Quant à l’ouverture politique, elle demande des conditions supplémentaires, et c’est au régime égyptien d’approfondir le début de ce processus de démocratisation du système politique.

[1Je ne suis pas le seul à avoir cette idée. Lire Dan Tschirgi, Ed. (1996). Development in the age of liberalization : Egypt and Mexico. Cairo, The American University of Cairo Press. 308 pp.

[2Jorge G. Castañeda (1999). La Herencia. Arqueología de la sucesión presidencial en México. Mexico, Alfaguara. 550 pp.

Posté le 9 septembre 2005