Clonage au Sud : le grand raté

L’affaire du clonage bidon en Corée du Sud, le grand tripatouillage des données, montre une faiblesse réelle des systèmes de recherche, et plus particulièrement de ceux des pays dits du Sud (ou en développement, voire en émergence).

Ce qui est d’abord en cause ce sont les mécanismes d’évaluation qui ne permettent pas de filtrer ce genre de fraudes. Nombre de referees ont dû sentir un sentiment de honte (je l’espère) à la vue des infos sur le cloneur Coréen Hwang Woo-suk ; même s’ils ne portent pas la responsabilité de la falsification, ils participent de ce système qui le permet (nous tous d’ailleurs, puisque c’est bien l’évaluation par nos pairs qui fait de nous chercheurs ce que nous sommes). [1]

Au-delà de la question sur le comment de cette affaire, le scandale concernant Hwang Woo-suk est aussi le procès d’une certaine pression sur les scientifiques, le besoin énorme de reconnaissance. Le raté coréen est d’autant important qu’il montre la faiblesse de l’insertion du système de recherche dans la compétition mondiale (Si on parlait de système économique on dirait "ouverture" et non pas "insertion"). Un Nobel de chimie, Richard Ernst, a également émis ce point de vue : il ne suffit pas de former des chercheurs, il faut aussi les former à l’éthique car on les oblige de plus en "plus de faire plus de recherche en moins de temps". Ces mises en garde vont se multiplier dans les mois à venir.

Mais est-ce vraiment un problème éthique ? N’est-ce pas véritablement une pression du système de recherche sur les chercheurs ? L’affaire du SARS en Chine doit être vue à la lumière de la même question : comment le système de recherche affecte les comportements des chercheurs. En Chine, les découvreurs (chinois) du coronavirus n’ont pas pu diffuser leur résultats car ils contrevenaient la théorie officielle défendue par leur patron de labo de l’Académie des Sciences et se sont vu doublé 15 jours plus tard par un labo étranger qui présentait le coronavirus. Là encore c’est le système d’organisation de la recherche qui est en cause, en particulier dans sa relation avec l’étranger.

Cette occasion devrait nous permettre de débattre en des termes nouveaux de la vieille question du partage de la science entre pays riches et pays pauvres. Evidemment la question se pose différement en Corée et au Burkina. Mais c’est la même question : celle de la relation entre les chercheurs nationaux et les pairs internationaux.


Article de Libé :
Génétique
Hwang Woo-suk plus tricheur que cloneur

Le Sud-Coréen, créateur du premier clone d’embryon humain, avoue avoir falsifié ses travaux.

par Michel TEMMAN
QUOTIDIEN : samedi 24 décembre 200

La chute du pionnier du clonage humain semble ne pas avoir de fin. Et le scandale qu’elle provoque risque d’éclabousser bien plus que la Corée du Sud. Aujourd’hui, c’est la communauté scientifique tout entière qui cherche à comprendre. Considéré comme le créateur du premier clone d’embryon humain, le Sud-Coréen Hwang Woo-suk, vétérinaire de formation et pionnier du clonage animal, a annoncé vendredi qu’il démissionnait de son poste de professeur de l’université nationale de Séoul. Il y a une semaine, ce scientifique chevronné avait demandé le retrait d’un de ses articles publié dans le très prestigieux Science (Libération du 17 décembre 2005). Vendredi, la commission d’enquête, créée le 15 décembre au sein même de l’université de Séoul pour évaluer le sérieux des travaux de Hwang, a remis un rapport très sévère. Ses neuf membres ont estimé que le professeur et son équipe avaient gravement fauté, car le résultat de leurs recherches sur la fabrication de cellules souches produites sur mesure « avait été délibérément falsifié »
Accusation. Présenté comme « une première mondiale », ce document faisait état de l’isolement, à partir d’embryons humains obtenus par clonage, de onze lignées de cellules souches correspondant spécifiquement à l’ADN d’une personne. Selon la commission, qui ne se prononce pas sur l’authenticité de la percée scientifique elle-même, Hwang a manipulé des photos et des données de deux lignées de cellules afin de faire croire que son équipe avait extrait onze lignées. Devant une telle accusation, venant après une première série d’attaques, notamment sur les conditions déontologiques de l’expérience, Hwang Woo-suk a présenté ses excuses. « Je demande sincèrement pardon », a déclaré le scientifique avant de démissionner.

« C’est une erreur professionnelle majeure », a réagi Roe Jung-hye, directrice de la recherche à l’université de Séoul. Le ministère de la Science et de la Technologie, qui a alloué 40 millions de dollars à Hwang depuis 2002, a également présenté ses excuses, précisant que le chercheur n’aurait plus le soutien de l’Etat. Ce qu’on appelle déjà le « Hwang gate » pourrait sérieusement ternir l’image de marque de la recherche sud-coréenne, pionnière en Asie. Les quotidiens Korea Times et Chosun Ilbo se faisaient l’écho des déclarations d’un comité indépendant de scientifiques coréens d’après lequel « Hwang nuit aux fondations de la science. Le gouvernement, les autorités et les médias [coréens] sont également responsables de s’être fait l’écho de mensonges en série ». Universités scientifiques et instituts de recherche du pays assuraient dans des kyrielles de communiqués qu’ils allaient mettre au point des commissions de contrôle internes.

Espoirs déçus. Dans le pays, l’indignation et l’incompréhension dominent. Et aussi le sentiment d’avoir été trompé, voire trahi. Des Coréens amers rappelaient qu’ils avaient toujours vu en Hwang un « sauveur ». Le biologiste s’était en effet vanté de pouvoir soigner, grâce à ses recherches, les paralysies de nombreux malades, dont celle de Kang Won-lae, un célèbre chanteur coréen. Sur la Toile coréenne, un internaute écrit : « Le vrai problème, ce n’est pas la chute d’un scientifique, c’est que le scandale a détruit une opportunité pour l’avenir de la recherche et des technologies de notre nation, et ne peut que décourager les espoirs des gens malades et paralysés. »

Des Coréens soutiennent malgré tout Hwang dans sa descente aux enfers. Des groupes de citoyens appelaient vendredi à des rassemblements à Séoul et dans les grandes villes du pays. Le ministère de la Santé a fait savoir qu’il allait poursuivre l’enquête sur les programmes de recherche et les aspects éthiques des travaux de Hwang et de ses équipes.

Du côté des politiques, le parti au pouvoir et l’opposition ont fait part de leurs « regrets », tout en espérant que les recherches et études de biotechnologie allaient continuer. L’opposition a demandé la création d’une commission d’enquête au sein de l’Assemblée nationale sur les responsabilités du gouvernement dans ce scandale, désormais mondial.


1 % C’est l’estimation courante des articles frauduleux paraissant dans des revues scientifiques. Il paraît environ un million et demi d’articles par an dans 20 000 revues.

Hendryk Schön

Entre 1997 et 2002, le physicien Hendryk Schön publie près de 200 articles dans des revues, dont une vingtaine dans Science et Nature. Il est convaincu de mensonges répétés.

Viswa Jit Gupta

Géologue de l’université du Penjab (Inde), Viswa Gupta dupe les paléontologues durant plusieurs années avec des fossiles africains ou américains qu’il présente comme provenant du Cachemire. La supercherie éclate en 1994.

Friedhelm Herrmann

Friedhelm Herrmann, spécialiste du cancer (université d’Ulm, Allemagne), est convaincu de fraude en 1997 : résultats d’expériences jamais réalisées, graphiques dont seules les légendes changent.

Le bug Baltimore

En 1986, le Prix Nobel de médecine David Baltimore (Etats-Unis) est accusé de complicité de tricherie avec Thereza Imanishi-Kari... Ils seront innocentés en 1996.


Le dérapage de Hwang, chercheur reconnu mondialement, n’est pas étonnant.

par Julie LASTERADE
QUOTIDIEN : samedi 24 décembre 2005

C’est l’homme qui a annoncé avoir réussi là où tous les autres scientifiques échouaient. Celui qui, pour la première fois, avait réussi à cloner des cellules humaines et à les faire vivre à un stade avancé. A démontrer que cela était possible, et même presque facile. En publiant ses résultats au printemps dans la prestigieuse revue Science, le Sud-Coréen Hwang Woo-suk donnait sa recette à tous les gynécologues sulfureux, comme l’Italien Antinori ou les raéliens, pour fabriquer des bébés clonés. Lui ne voulait pas cloner des enfants morts. Mais faire de la Corée le centre mondial de la médecine régénératrice.

« Zozos ». Ses confrères le décrivent comme un « scientifique de haute volée », « intelligent », entouré d’une équipe de chercheurs de « très grande qualité ». Depuis l’été, il recevait l’élite scientifique du monde entier dans son labo. Rien à voir avec les Antinori ou les raéliens, qui affirment régulièrement la naissance prochaine d’un clone « pour faire leur pub personnelle et du fric », dit Louis-Marie Houdebine, spécialiste de la transgenèse à l’Institut national de la recherche agronomique (Inra). « Des zozos », ajoute le généticien et bioéthicien Axel Kahn.

Mais, comme eux, Hwang Woo-suk n’a pas résisté. « Une des caractéristiques de ce champ de recherche, continue Axel Kahn, c’est qu’il rend fou tous les gens qui le touchent. Le clonage, c’est le triangle des Bermudes de la rationalité scientifique. » Et Hwang Woo-suk a perdu pied. Pour Axel Kahn, « c’est lié au sujet de sa recherche ». Avant, « c’était un très grand scientifique du clonage animal ». Ses spécialités : le porc et la vache. Le clonage humain, même thérapeutique, est bien plus lourd à réaliser techniquement. Et à porter. « Le clonage fait fantasmer, analyse Louis-Marie Houdebine. Il touche à la reproduction, à l’identité, à la génétique. » Axel Kahn partage ce point de vue : « Depuis le début, tous les fantasmes, les illusions, les lobbys se mélangent avec les démarches proprement scientifiques. »

Les applications médicales de cette recherche commencent à se révéler très compliquées, trop chères, trop longues. . « On a vu un mouvement massif de pression, comme si c’était vital pour sauver des gens, raconte Kahn. Même l’ONU s’en est saisie. » Christopher Reeve, Nancy Reagan et le Collège de France ont d’ailleurs plaidé la cause du clonage thérapeutique.

« Déraison ». Les perspectives thérapeutiques et scientifiques et l’utilisation du clonage comme mode de reproduction séduisent et terrifient. « Il suffit que des chercheurs anglais ou américains annoncent la création de quelques cellules humaines clonées mal foutues pour faire les gros titres dans le monde entier, regrette Kahn. C’est un univers de déraison totale. C’est dans cet univers qu’il faut resituer l’activité de Hwang. » Pour Houdebine, « les scientifiques coréens ont envie de reconnaissance. Ils en veulent plus. C’est cette surenchère qui a écrasé Hwang ». Seule consolation : si Hwang a falsifié tous ses résultats, Antinori et les raéliens ne sont pas près d’avoir la recette du clonage.


[1La revue Science a décidé de mener une investigation sur les papiers qui ont été publié dans ses pages.

Posté le 7 janvier 2006