Un économie de casino : les Cassandres ont aujourd’hui raison

Je me souviens que ce fut une politologue, pas un économiste, qui avait joliment dénoncé ce capitalisme de casino. Il s’agit de Susan Strange (1923-1998) qui avait dénoncé cette alliance politique entre finances et structures de décision économique des entreprises, celles de la fameuse « économie réelle », concept réapparu tout d’un coup dans nos radios (distinction qui avait disparu du vocabulaire économique mais qu’on m’a enseigné jadis à l’université).

Susan Strange mentionnait certaines évidences : la croissance massive des échanges financiers —de l’ordre de 10 milliards de dollars en 1977— passée à 150 milliards au moment de la publication de son livre ; les innovations financières, notamment d’avoir ’accroché’ les portefeuilles financiers sur les indices boursiers (c’était le métier de Kerviel cela non ?), etc.... Elle avait inventé un style d’analyse, l’analyse internationale de l’économie ou économie politique internationale. Et elle avait lourdement insisté sur le fait que le désordre économique mondial était monétaire et que les gouvernements l’ont abondamment favorisé par leurs décisions.

Un autre critique, paradoxalement, de la situation des marchés actuels est George Soros. Il vient de publier un nouvel ouvrage (The New Paradigm for Financial Markets : The Credit Crisis of 2008 and What It Means) et ce Monsieur donne quelques leçons aux économistes. Il peut, vu qu’il s’est fait un bénéfice qui est estimé à ... attention les oreilles .. 2,9 milliards de dollars (selon un fanzine boursier). On apprend tout cela dans l’article remarquable de John Cassidy (journaliste économique américain) dans le New York Review of Books (et, chance, c’est gratuit). Au passage, on apprend aussi quelle est la manip sur les marches qui fait que cela est possible de faire vivre des actions pour une entreprise sans valeur. Un must.

Mais surtout Soros reprend presque mot pòur mot l’argumentation de Susan Strange : la mondialisation, l’absence de régulation, et la croissance démesurée des crédits. Cette connexion incestueuse entre banques d’affaires et officines financières, qui a alimenté la bourse, certes, mais a renforcé aussi l’instabilité intrinsèque des marchés financiers. Elle l’a renforcé pour une raison que Soros explique assez bien : les choix financiers agissent aussi sur les fameux fondamentaux —un terme que le gouvernement français adore.

Un bon article de Paul Jorion dans Le Monde va dans le même sens :

... depuis 1975 environ, les investisseurs - les "capitalistes" - et les dirigeants d’entreprise ont eu la folie de substituer à la part déclinante du surplus revenant aux salariés le crédit à la consommation. La réalité les a rattrapés et nous payons aujourd’hui le prix d’une telle cupidité.

Les banques centrales ont joué ici un rôle particulier, devenant des machines de guerre entre les mains des investisseurs seuls, manipulant les taux d’intérêt pour faire taire les entrepreneurs sous la menace de la fermeture d’entreprise, et les salariés sous celle du chômage.

Les intérêts récompensent le capitaliste des avances consenties à l’entrepreneur. Pour que les intérêts puissent être versés, il faut que ces avances aient créé une authentique richesse. Or le prêt à la consommation ne remplit pas ces conditions : le versement des intérêts est ponctionné sur le salaire de l’emprunteur, produit de son labeur, et nullement sur un surplus généré grâce aux avances. Lorsque les salaires déclinent, les ménages empruntent davantage. Les fonds ne constituent pas une avance productive mais le bouche-trou d’un salaire insuffisant. Du coup, les ménages gèrent leur budget à l’instar d’une "cavalerie". Il vient un moment où la masse salariale décline à ce point que la cavalerie rentre dans le mur. C’est ce qui vient d’arriver.

C’est fort juste. La richesse des banques est devenue un pari permanent sur les réalisations futures de titres toujours virtuels et bien mélangés pour ne pas pouvoir déméler le pourri du valable (une jolie bande dessinée circulaient parmi les gens de la finance qui explique cela lunineusement -a lire sur Rue89).

Problème toujours : les ménages, vous et moi, ceux qui ont des dettes, des petites dettes de rien du tout, ne font toujours pas l’objet des diverses mesures que lancent les gouvernements. Évidemment, c’est sûrement hors-sujet de vouloir s’occuper des contribuables, des électeurs, ...jusqu’au jour où il faudra affronter une bête immonde.


MAJ 5/9/2012. Tout cela est toujours d’actualité. Je rajoute juste DSK et Marc Roche et Grèce et Goldman-Sachs dans les mots clés pour faire de la pub. C’est comme ajouter le mot sex (sans "e") ça fait du buzz. L’jomme (plus que la femme) étant un être assez primitif. Car depuis hier i y a un rebond sur mon site avec ces mots clés. Faut jamais perdre une occas. Tout cela à cause de l’excellent documentaire de Arte sur Goldman Sachs(lien sur ARTE+, au Liban où je vis en ce moment je n’ai pas accès).

Posté le 14 octobre 2008