ALAST : une invitation à croiser sociologie du travail et de l’innovation

MAJ : La grippe a annulé le congrès. Nouvelles dates : 20, 21, 22 et 23 Avril 2010.

Je suis invité à faire une conférence plenière au 6ème Congrès de l’Association latinoaméricaine de sociologie du travail (ALAST), ce qui me fait évidemment très plaisir. Ce congrès aura lieu à Mexico (19-22 mai 2009), dix ans après le 1er Congrès, fondateur, de l’Association. L’association est un exemple de communauté scientifique dans les sciences sociales. Elle aborde de plus des sujets particulièrement importants politiquement, socialement et économiquement dans la région. Elle représente de plus un domaine des sciences sociales qui a été le pilier de la sociologie en France -du reste nombreux sont ceux qui ont été formés en France.

Avec des collègues latino-américains nous avons commencé un travail de sociologie sur la sociologie du travail ! A cette occasion nous essaierons d’avancer un peu plus nos réflexions. [1]

Quant à ma conf, je pense qu’elle traitera de l’apprentissage, dans les entreprises, comme expérience qui relie le local et le global. Un thème à la croisée de la sociologie du travail, de l’économie de l’innovation et de la gestion de projets. [2]
. L’apprentissage, organisationnel et technologique, comme le montre la thèse de Corinne Tanguy [3], est non seulement un thème important, mais il est un processus par lequel se manifeste la réalité de la connaissance : une activité située dans l’espace social -donc l’espace de travail- qui permet de relier les enjeux de pouvoir, ceux que confère la connaissance des matériaux, des humains, des acteurs et ceux que confèrent la propriété des lieux de connaissance. [4]

Je n’ai jamais compris pourquoi la sociologie de la science, latourienne, relationniste ou relativiste, ne s’est jamais intéressée à l’apprentissage. Il me semble que cela à voir avec une clientèle empirique distincte : la sociologie du travail s’adresse au monde du travail : ouvriers, cadres, employés, patrons,... La socio des sciences et de l’innovation s’adresse aux scientifiques, aux inventeurs, à toute cette classe de cols blancs qui parce qu’ils portent des blouses blanches -comme disait Roqueplo- représentent le savoir. Une façon plus brutale de le dire est que la socio du travail s’intéresse aux vrais prolétaires, celle de l’innovation aux « travailleurs de la preuve », ce qui est nettement plus sexy. Donc pour de mauvaises raisons.

La sociologie du travail a superbement ignoré de son côté la sociologie du savoir, de la science et de l’innovation. Le terrain des usines et des mouvements sociaux offrait peu de liens simples et seuls quelques ingénieurs reconvertis. Mais le plus souvent ces ingénieurs provenait justement de la socio de la science, pas de la socio du travail. [5]

Voici donc venu peut.être le moment de faire le pas, de réunir les fils ? L’occasion serait la sociologie de la fameuse « société de la connaissance ». Si on fait soigneusement le tri, en éliminant ce qui dans ce concept est du pur slogan, [6], en éliminant le côté cheap et de knowledge management [7] on pourrait peut-être relier ces deux sous-domaines de la sociologie.

Ce serait peut-être aussi l’occasion d’essayer de relier deux domaines proches mais qui cohabitent avec une certaine gêne : la sociologie du travail et des entreprises et l’économie de l’innovation. Cette dernière, notamment quand elle parle des institutions, fait preuve d’une naïveté confondante. [8]. Mais pourtant certaines questions posées nécessitent un certain œcuménisme... Enfin je le pense. Peut-être est-ce là aussi trop difficile dans la mesure où nous sommes non pas face à des approches différentes mais à des professions différentes.

Voici donc un nouveau champ de réflexion.

[1Dans les pas de Wiebke Keim. 2006. Vermessene Disziplin. Nordatlantische Dominanz und
konterhegemoniale Strömungen in der Entwicklung afrikanischer und lateinamerikanischer
Soziologien (North-Atlantic domination and counterhegemonic
currents in the development of African and Latin American
sociologies) PhD Thesis, University of Freiburg and Paris IV-Sorbonne.

[2Voir l’article ardu mais intéressant de Silvia Gherardi publié dans la Revue d’Anthropologie des Connaissances (pdf) que j’ai découvert grâce à Marc Barbier. Voir aussi l’article de Marc Barbier, Muriel Cerf M. et J. Barrier(2006). « Projects as Learning agency at organization borders : a resource for organizational learning ? », The Passion for Learning and Knowing : Proceedings of the 6th International Conference on Organizational Learning and Knowledge. 6th International Conference on Organizational Learning and Knowledge, University of Trento, 9-11 June 2005

[3Tanguy C. (1996). Apprentissage et innovation dans la firme : la question de la modification des routines organisationnelles, Thèse de Doctorat, Université de Rennes I. A lire sur le site de l’UR105 -

[4Un premier effort pour faire ce lien est celui de Boussard V., Mercier D. et Tripier P. (2003). L’aveuglement organisationnel. Analyses sociologiques de la méconnaissance, Paris : Editions du CNRS.

[5Je pense à Dominique Vinck (2007). Sciences et société. Sociologie du travail scientifique Paris : Armand Colin. 302 p.

[6Ce que tentent le canadien Frédéric Lessermann et l’allemand Nico Stehr

[7Ce qu’essaie de faire avec hargne Steve Fuller qui à juste titre d’insurge de tous ces marchands du temps qui se sont reconvertis au Knowedge Management histoire de se faire du blé en vendant des logiciels de KM.

[8J’en veux pour preuve le dernier papier de Nelson dans Research Policy qui découvre les "technologies sociales" —quand presque cent ans plus tôt Pierre Gourou nous parlait des structures d’encadrement pour expliquer la productivité asiatique et que toute la sociologie du travail montrait en quoi le contournement des institutions était la création d¡une efficacité technologique réelle. Mais, passons.... Ref : Nelson R.R. (2008). « What enables rapid economic progress : What are the needed institutions ? », Research Policy, 37 (1), p. 1-11.

Posté le 9 avril 2009