Amitav Gosh : écrivain des lieux

Mise à jour : 26 mars 2007

Découverte d’un grand écrivain dans la revue GRANTA. Amitav Gosh, notamment un magnifique article sur le Cambodge (extraits dans ce lien). J’ai jamais regretté mon abonnement à Granta, en partie à cause de ces découvertes.

Dans l’article sur le Cambodge, il observe une scène étonnante : la renaissance de la danse au Cambodge juste après la chute de Pol-Pot. Il se trouve que la directrice de la troupe royale de danse n’est autre que belle-soeur de Pol Pot ! L’article commence par un souvenir historique : l’arrivée des danseuses cambodgiennes pour la première fois en France, en 1906. Les français furent fascinés par ses gracieuses créatures sur le pont du bateau amarré à Marseille. Anmitav Gosh rencontre alors la danseuse étoile du palais, au moment où elle tente de refaire vivre la tradition de la danse classique et royale qui fut interdite et décimée par les Knhmers Rouges.

Aucune volonté de vengeance, mais une grande tristesse ressort de cette rencontre. J’ai eu l’impression de mieux connaître le Cambodge en lisant ce texte, de manière plus palpable en tout cas qu’en simple touriste.

C’est là l’extraordinaire force de Amitav Gosh, « anthropologue de formation, (qui) ne cesse dans ses romans d’appréhender l’histoire par l’observation détaillée des êtres. Toujours au Cambodge, Gosh ira voir les campagnes dévastée, les militaires de la force des Nations Unies sous commandement indien. L’interview du militaire indien, dépassé par tant de désolation est probabalement un des moments les plus fort de cet article. De même que la description du premier spectacle de danse au Palais Royal.

Bref, Amitav Gosh est tout le contraire d’un écrivain du voyage, Amitav Gosh voyage à travers le monde : le Cambodge, l’Egypte, l’Inde évidemment. (Voir son site officiel). Une grande acuité du regard mais aussi une écriture qui va chercher dans la vie d’un peuple, de son histoire, ce qui ne se donne pas facilement au regard. Il a été marqué par V.S. Naipaul, ce qui se ressent dans l’atmosphère qui se dégage de ses livres (lire son essai "Naipaul and the Nobel" dispo sur son site, rubrique "Essays").

Le livre qui m’a fasciné est "Un infidèle en Egypte". L’auteur raconte son séjour en Egypte, puis son retour dix ans plus tard. Mais le fil conducteur est la recherche dans des archives éparpillées dans le monde des informations sur un marchand juif d’Egypte et son esclave indien au XII-ème siècle. Le marchand et l’esclave ont vécu longtemps à Aden. Il a fuit le Caire probablement à la suite de déboires dont on ne saura pas s’ils sont commerciaux ou familiaux. Sa famille originaire de Tunisie est elle aussi en contact avec lui. Cette histoire, la recherche des informations sur le marchand et la vie de Gosh dans le village egyptien s’entremèlent au point où il est difficile de faire la part des choses entre la vie quotidienne et la vie du XII siècle, entre la vie de l’homme de lettres et les paysans. Des figures hautement symboliques apparaissent : le paysan, le marchand, le lettré, le doktor, le professeur, le mage, le fonctionnaire, le patron et l’émigré. Autant de personnages qui vivent dans l’Egypte moderne et celle du douxième siècle mais aussi dans le bassin de la Mediterranée et dans la mer rouge. Ce livre peut être lu plus d’une fois, sans pour autant donner l’impression d’avoir été déjà lu. Magnifiquement écrit, excellement traduit, la vie qui se dégage de ce récit romanesque, de cette quête anthropologique est si forte que les malheurs qui ont marqué certains destins semblent infiniment petits face à cette grande toile de faite des histoires des lieux particuliers. On apprend dans ce récit des choses étonnantes sur les archives dans le synagogues et sur la chasse aux archves. On apprend aussi beaucoup sur la vie quotidienne des fellah dans les villages qui bordent le désert en Egypte. L’auteur ne montre pourtant aucun mièvre attachement à ces lieux où il n’a pas toujours été heureux et où la vie quotidienne n’est pas toujours facile. C’est un roman de la mondialisation dans tous les sens du terme.


Parmi ses livres traduits en français (et publiés au Seuil) : Un infidèle en Egypte (récit, 1994), Les Feux du Bengale (roman, 1990), Le Palais des miroirs (2004). » The Circle of Reason, The glass palace, In an antique land. The shadow line.

Lire aussi un commentaire sur Les feux du Bengale vu sur critiqueslibres.com.

Le 29 janvier Un article de Amitav Gosh dans le Courrier International du 29 janvier 2004.
« A Manhattan, un instant d’hiver nucléaire ».


Extrait d’une interview dans le Monde :

Quelle place donnez-vous à la littérature indienne dans le monde ?

La première. Je regarde mes contemporains et, très honnêtement, je crois qu’il serait difficile de nommer un groupe d’écrivains qui soit plus productif et plus stimulant. On me demande souvent pourquoi les gens s’intéressent tant à la littérature indienne à travers le monde. Je dirais : nous n’avons pas peur de parler des émotions, des passions humaines. Voilà ce qu’il manque au roman américain de nos jours. Toute cette ironie, ces acrobaties, ce bric-à-brac postmoderne, quel ennui ! Je ne les lis même plus.

Je viens de lire sur le site de Libé que Fanny Colonna à écrit un livre sur les provinciaux en Egypte. Elle dit vouloir "donner à voir et à entendre des gens dont on ne soupçonne même pas l’existence". Et plus loin dans l’article elle ajoute : "Avant de rédiger ses « récits de campagne », Fanny Colonna a « lu ou relu beaucoup plus de littérature que de sociologie » : Naipaul bien sûr, Leiris, Magris, Celati, Kapuscinski. Mais ses deux viatiques ont été Un infidèle en Egypte d’Amitav Ghosh et Louons maintenant les grands hommes de James Agee et Walker Evans, deux chefs-d’oeuvre de l’anthropologie qui confinent à la littérature.

Fanny Colonna

Récits de la province égyptienne. Une ethnographie Sud/Sud

Sindbad Actes Sud, 486 pp., 25,90 €.

Post-Post-Scriptum et MAJ le 26/03/07.

A la suite du Salon du Livre 2007, cet article semble être souvent consulté. J’ai donc procédé à une mise à jour.

Posté le 25 février 2004