Le trésor de l’île

Chapitre 1. L’arrivée

Le trésor de l’île, un polar que nous avons "raconté" (sans l’avoir écrit) en famille oralement. Je me suis promis de l’écrire.... On est encore loin de la fin ! La vie s’est chargée de me détourner de cet objectif. Une certaine agitation autour de cela (cette page de mon blog est visitée frénétiquement car l’Ile au Trésor de Stevenson semble être au programme . ! Eh les gars, continuez à vous accrocher : L’Ile au trésor c’est génial. Ici c’est un peu plus glauque : l’idée est que ce premier chapitre du trésor de l’île (l’inversion à son sens) est dans un ton plus badin que le reste de l’histoire. La suite au prochain numéro (MAJ de février 2008, pour voir que cela n’avance pas très vite).

En arrivant au Port, le ferry-boat Nireas, rafiot immonde, débarque sa cargaison usuelle de vacanciers en sac à dos et de familles en voiture surchargées d’objets en plastiques. C’est le dernier voyage de ce bateau et il y a sur le port une foule inhabituelle. Un petit groupe de jeunes qui se sont déguisés et se moquent du bateau en chantant des petites comptines ridiculisant le navire vieux de soixante ans. Dimitris ne peut pas s’empêcher de rire en voyant le responsable de bord faire semblant d’ignorer la pagaille et hurler des indications que personne ne semble écouter jusqu’à ce qu’un pauvre jeune homme en moto se fasse sérieusement rabrouer. L’altercation est usuelle dans les petits ports des îles de la mer Egée, mais cette fois elle semble particulièrement exagérée. Finalement la voix du commandant de bord résonne dans le haut-parleur, impatiente et légèrement aigrelette.

  • Allez, allez ! Dépêchons, dépêchons, là derrière ! On ne va pas rester éternellement dans ce trou !

Le ton désagréable du commandant arrache des vivas et des hourras aux jeunes sur le quai. Il arrache aussi deux jurons à Nikos : "Qu’il aille au diable avec son rafiot pourri" pendant qu’il charge les valises de M. et Mme Daumas, des français habitués à prendre leur vacances sur cet îlot perdu en Mer Egée.

Dimitris regarde faire ce rude bonhomme et prend note en le voyant s’adresser à toutes sortes de personnes, étrangers et locaux, riches et pauvres. Puis, il s’approche d’une petite dame qui tient une pancarte de chambres à louer, la plus misérable, moche et mal habillée sur la jetée.

  • Oui mon palikare, il y a des chambres pas chères et même avec un balcon, ici même, pas loin du port.
  • Parfait allons-y !
  • Tu n’as pas de valise jeune homme, dit la femme d’un air fatigué et surpris à la fois.
  • Non, juste ce petit sac.

Sur la route elle n’arrête pas de lui vanter les mérites et la beauté de l’île dans un monologue incessant. "Tu verras, mon jeune homme, ici la nature est très belle. Oui, les couchers de soleil, les petites tavernes, la mer, c’est reposant. Qu’est-ce que tu veux ? Du calme, de la tranquilité, alors tu as bien choisi, c’est ici le calme. Si tu veux du bruit faut aller ailleurs, dans les autres îles, dans le bruit et la saleté." Elle employait les mots de manière imagée et une fois encore le visage buriné de Dimitris s’illumina de son sourire quand la vieille redoublant de vigueur se lança dans une diatribe très appuyée. "Ici on aime notre terre, on y est revenu, tous, nous sommes revenu ! Et tu sais ici nous sommes marins, nos maris sont tous partis sur les bateaux. Tous sont partis. Tous. Tiens, le mien, eh bien ! il a fait naufrage il est pas revenu. Antonis, mon coumbaros [1], il était dans le même bateau, il m’a dit qu’il ne l’a jamais revu, même son cadavre. Mais avec la pension je peux m’en sortir maintenant. Oui c’est mieux comme cela. Et ma fille elle a ouvert un periptero [2], et maintenant ça va, ça va, mais il fut un temps où c’était très dur. Ah ! Vous, les gens des villes, vous ne savez pas ce que c’est, c’est la vie ici qui n’a pas été facile, pas facile du tout. J’ai attendu 15 ans avant que la compagnie d’assurance me paye mon dû. Quinze ans, mon jeune homme, c’est beaucoup tu sais, j’ai vieilli en attendant cette pension, je n’ai plus rien maintenant pour moi, tout est pour ma fille. Grâce soit rendue au Seigneur que je l’ai eu à mes cotés toutes ces années. Voilà, on arrive, jeune homme, on arrive, tu vas pouvoir voir la vue, regarde, là, regarde. N’est-ce pas beau ? C’est une belle maison tu vas voir, une belle maison."

Arrivés à la chambre à louer, la pièce s’est révélée être minuscule et un peu sombre. Elle aurait certainement déplu au touriste normal, mais elle convenait parfaitement à Dimitris. Calme, un peu en retrait. Certes il y avait un balcon, mais pas de vue, ni même un accès très aisé sur la route. Une de ces laides constructions modernes coincée entre deux bâtisses. Il fallait monter des marches et rentrer dans une petite ruelle jonchées de détritus barrée au fond d’un tas de sable de construction. Dimitris se dit que cela devait être l’endroit le plus sale de l’île. Et certainement le plus calme, comme lui disait la vieille.

Effectivement, les autres ruelles, en particulier dans le vieux village étaient plus propres et bien entretenues avec des fleurs aux balcons, des maisons retapées, des maisons récentes construites "à l’ancienne", autant de signes d’une prospérité récente.

Après une douche et une sieste réparatrices, Dimitris se met en route vers la plateia [3]. Ça grouille de monde à la tombée de la nuit, et notre homme se met à errer , de café en café. Il en existe cinq qui hurlent des musiques différentes dans leurs hauts parleurs. Une cacophonie horrible, mais qui ne dure pas très longtemps. Les anciens moulins à vent donnent un air d’un autre temps, sourds au bruit des hauts parleurs et du vent.

Trainer sur les terrasses de café n’est pas désagréable. Et puis, les filles sont belles, les épaules dénudées, bronzées à souhait, les ventres orgueilleusement découverts et parfois décorés d’un petit piercing. Elles lui redonnent le goût de la conquête. Les autres hommes aussi les convoitent, mine de rien, en échangeant quelques mots par-ci par-là. Une insouciance généralisée, qui correspond bien à la description qu’on lui avait fait de cette île. Et puis les gens semblent un peu moins sophistiqués ici. Cela lui plaît, car l’atmosphère surfaite des îles grecques le rend mal à l’aise, lui qui n’est finalement qu’un marin de haute mer. Ici par contre les villageois semblent assez paysans et les voyageurs sont ces classes moyennes en goguette, enrichies récemment, de ceux qui aiment partir en moto et voiture avec la glacière et la radio sur la plage.

Et quelques étrangers qui ont l’air de ne pas être ni trop snobs ni trop richards. "Ah, non tiens, celui-là, ... Intéressant !" se dit-il. "Doit pas avoir un compte en banque pas trop dégarni." Chemise en soie, bien bronzé, beau pantalon, bien repassé. Dimitris le suit du regard. L’homme rejoint une bande d’étrangers parlant le grec. Des habitués, manifestement. Quelques jeunes aussi semblent trainer sur la place en s’échangeant des informations et des opinions sur le programmes des festivités nocturnes à venir.

Enfin, bref une faune assez bigarrée. Il verra cela mieux le lendemain. Il décide de dîner sur une de ces terrasses et se dit "Allons prendre un verre pour voir les immanquables oiseaux nocturnes. Il y aura sûrement quelques informations à glaner."

Dimitris repère un bar dans la vielle ville en remontant vers le château vénitien. Il se fait servir un cocktail et se met à échanger avec la barwoman, une jeunette, une étudiante en vacances.

  • Oui vous avez raison de venir ici, si la marche à pied vous plaît autant, lui dit-elle. A vrai dire j’aimerai aussi partir faire de la marche mais je termine vers 4 heures du matin et quand je me réveille le soleil tape un peu trop fort pour aller se promener dans les montagnes. Attendez, je crois qu’il y a un français très sympathique qui fait aussi de la marche. S’il passe je vous le présenterai.
  • D’accord, d’accord, murmure Dimitris mécontent de voir que sa couverture lui coûtera certainement la rencontre avec un étranger chose qu’il ne voulait surtout pas.

Mais la barwoman est sympa, la musique est bonne et le vent est doux sur ce balcon nocturne. Dimitris se laisse emporter par la sensation de vacances et d’insouciance. Elle vient d’Athènes et passe ses vacances ici car le vent rend l’été supportable.

  • Ici c’est des ploucs plutôt sympas. Oh, ils ne sont pas meilleurs hommes qu’ailleurs mais au moins il n’ont pas la prétention de l’être, lui confiera-t-elle plus tard, alors qu’il est en train de siroter un Gin Tonic.

Dans ce café, les étrangers ne semblent pas trop mal représentés. Des jeunes surtout. Puis rentre un homme que Dimitris a repéré sur le bateau. Un homme élégant, avec sa femme à ses cotés. Ils sont accompagnés de l’autre bonhomme, celui en chemise à soie. Tiens, quelle coïncidence ! Dimitris les suit du regard. Ils semblent connaître la barwoman, surtout l’homme à la chemise de soie.

  • Oui c’est des habitués. Ils viennent ici depuis 20 ans. Ils ont une des plus belles maison ici. Une belle baraque avec un vue superbe." Rêveuse la petite barwoman ajoute : "J’aimais bien leur fils, mais il s’est marié. Moi je viens ici depuis quatre ans et j’aime bien être ici. Mon père m’a laissé sa maison. C’est bien comme ça. Tu prends encore un verre ?"

Dimitris refuse en prétextant avoir du mal a se remettre du voyage. En fait, il ressent une sorte de sourd grondement au fond de son cerveau, comme une alerte. Tout ici est trop calme, trop lisse, trop parfait. Le calme avant la tempête. Un sentiment qu’il connaît bien. Qu’il redoute.

Après son refus elle ajoute : « Peu importe, dit-elle, je suis là tous les jours et les beaux gars, en été, j’aime ça, dit-elle en riant. »

  • Une invitation pareille ça ne se refuse pas hein ? ajoute Dimitris.
  • C’est à toi de voir, koukle mou (beau gosse), dit-elle en faisant un large sourire. Et elle se retourne vers une table où l’appellent des clients.

Dimitris en sortant se dit qu’il lui faudra faire plus attention, ne pas se laisser emporter par tant de bonne volonté ! Prudence, prudence. Ne pas perdre de vue l’objectif. Et puis, qu’est-ce que c’est que cette façon de regarder les filles alors même qu’il en a une qui lui occupe son esprit tout entier ! Hein ? Il sourit, en pensant à celle qui lui plaît tant et qui aime lui faire des reproches comme si elle grondait un enfant. Ah, un enfant ! N’est-ce pas merveilleux ! Dimitris interrompt sa rêverie en allant vers la sortie. La musique, un air connu, remplace ses pensées.

En sortant, il jette un oeil sur les derniers arrivants. Des jeunes un peu glauques et "gothiques" tout de noir vétus, bottes et chaines avec croix en argent et cheveux rasés ou gominés comme ceux des banlieues de Hambourg et de Manchester. "Mes jeunes compatriotes ont bien changé", se dit-il. L’heure était bien venue pour lui de fuir.

A suivre.

L’Ile au trésor est un polar en confection.

[1parrain de mariage

[2un kioske

[3place centrale du village

Posté le 10 février 2004