Apprentissage technologique dans les pays émergents

Je suis très content enfin de voir la publication d’un article conçu il y a longtemps refusé plusieurs fois, car trop long, trop ceci, pas assez cela. Il s’agit d’une version très largement améliorée à partir d’un premier jet mentionné ici en 2009 mais commencé bien avant [1]. L’article s’intitule :

L’apprentissage technologique dans les pays émergents : Au-delà de l’atelier et de l’entreprise, Revue d’anthropologie des connaissances 3/ 2014 (Vol. 8, n° 3), p. 495-521
URL : www.cairn.info/revue-anthropologie-des-connaissances-2014-3-page-495.htm.

Daniel Villavicencio et Zhao Wei en sont co-auteurs.

L’article propose une réflexion théorique fondée sur des travaux empiriques menés en Amérique latine et en Chine visant à identifier et caractériser l’apprentissage technologique des entreprises. Nous rappelons les différentes conceptions de l’apprentissage dans la littérature sur les entreprises et le travail et présentons une définition de l’apprentissage technologique. Abandonnant les perspectives fondées sur une caractérisation basée sur l’entreprise dans son ensemble, notre interprétation se démarque des travaux précédents en ce qu’elle propose de fixer la focale sur l’identification des activités technologiques à la fois internes et externes ainsi que sur les connaissances qualifiées de « techniques » qui les accompagnent, plutôt que sur la gestion ou les décisions économiques qui les concernent. Fonder ce point de vue permet un réexamen des questions concernant la mondialisation et l’irruption d’entreprises innovantes dans les pays émergents.Il permet de comprendre cette croissante par le bas, dans les PME, dans les entreprises quasi-artisanales, dans le secteur qui frôle l’informalité. [2]

Je reprends avec mes collègues Daniel Villavicencio et Zhao Wei, le thème de l’apprentissage technologique en essayant de montrer, au-delà des résultats connus et qui sont rappelés ici, la perspective que le concept offre pour comprendre l’industrialisation des pays émergents. En rédigeant cet article il nous a semblé que le système productif, proposé par Jean Ruffier et Jorge Walter il y a de cela vingt ans est un concept extrèmement utile. Il indique que la frontière organisationnelle de l’entreprise (the firm) est en fait un obstacle à la compréhension de l’industrialisation et de la croissance des savoir faire industriels. Pour comprendre ce qui se passe il faut non seulement se détacher des concepts financiers et du rendement mais aussi des concepts issus de l’analyse organisationnelle devenus canoniques.

Les choix s’élaborent dans l’apprentissage technologique et ce sont ces expériences qui servent de levier au développement. Leur maîtrise suppose alors de remplir un certain nombre de conditions de reconnaissance des activités techniques et cognitives au plus près des ateliers, ce qui est loin d’être simple à satisfaire. On pourrait vouloir aller plus loin et soutenir que ces savoirs productifs s’incarnent dans la façon dont les collectifs productifs maîtrisent les équipements, produits, objets techniques, artefacts, mais aussi dans les liens que cette maîtrise oblige à entretenir avec l’environnement institutionnel et économique de l’entreprise. Une telle orientation invite alors à contester la seule maîtrise des savoirs gestionnaires qui permettraient à eux seuls d’obtenir cette « capacité d’innovation ».

[1En réalité je voulais que se soit un chapitre d’une habilitation à diriger des recherches, jamais finie.

[2Un jeune auteur mexicain, Andrés Martínez López a défendu aussi cette idée de l’apprentissage dans les très petites entreprises informelles, se fondant sur un travail d’observation de terrain.

Posté le 21 août 2014