Blog d’un chinois en France

Un homme remarquable vient d’ouvrir un blog : Cai Chongguo.

MAJ : 2 Nov 2006

Cai Chongguo, qui signe aussi Lao Cai sur le blog de Haski, a ouvert un blog lui-même. C’est non seulement intéressant, c’est probablement parmi les pages les plus étonnantes que l’on puisse lire sur la vie en Chine en ce moment.

Par exemple, on peut y lire cet étonnant échange au cours d’un repas entre un diplomate et Lao Cai. Le diplomate explique que Chirac cette fois vient vendre des les quatre prochaines centrales nucléaires.

Lao Cai : « Vendez les à Chirac, il est sympa comme tout pour vous, et plus, il a déjà loupé le gros contrat de TGV de Pékin à Shanghai », je dis assez sincèrement, je veux toujours, parfois aveuglement, que la France ait plus grande présence en Chine même je ne suis pas d’accord du tout avec la manière chiraquienne.

[Le diplomate] « Non, on hésite, on n’a pas décidé »

[Lao Cai] « [vous] hésitez [pour]quoi ? »

[Le diplomate]« Vous savez, Chirac ne se présenter plus à l’élection présidentielle à 2007, on veut réserver ce gros contrat au nouveau président »

[Lao Cai] « Oh, vous êtes dégoûtant, jetez un ami si vite », je dis en pensant ce pauvre Chirac.

[Le diplomate]« Tu sais, le diplomate vers moi, notre grand souci, c’est qu’un président socialiste soit élu. L’Allemagne a déjà changé, le nouvelle chancelière n’est plus si amicale avec nous, si la France dirigée par le socialiste, change encore la politique de Chine, ça sera catastrophique ! »

On peut aussi y lire cette histoire de son ami trop naïf qui a été arreté.

Et j’espère qu’on en lira d’autres. Cai est un des animateurs du China Labour Bulletin qui fait un travail remarquable depuis Hong Kong pour documenter les conditions de travail des ouvriers chinois. Cela a valu bien des déboires à son promoteur, Han Dongfeng. Cai Chongguo fait partie de ces gens pour qui la vérité compte.

Enfin je ne résiste pas à reproduire cette réponse remarquable de Lao Cai [1]à cet odieux personnage qui signe Wu Fa Hsien sur le blog de Haski(avec qui j’ai eu un échange assez acerbe).

A WFS

« Ah !Ah !Ah !

L’exil te monte à la tête,
et te rend fou. »

Intéressant, ton visage.

Qui est en exil ? C’est toi, en fait. Je suis chez moi. Tu es en exil dans ton propre pays. Dans tes posts, tu n’arrêtes pas d’insulter les français. Il n’y a rien de pire que cela dans la vie : vivre dans un pays, mais le détester, haïr sa population et sa culture. Il semble que tu aimes la Chine et son gouvernement, mais ceux-ci sont si loin et, pire encore, son gouvernement est en train de te trahir, il ne t’aime plus puisque tu es encore attaché au marxisme. Tu n’as pas, tu n’as plus de patrie.

Parlons un peu des choses au fond. Qui a dit —je ne me souviens plus : le pays où la liberté existe est ma patrie ? Ton Marx a dit aussi que la classe ouvrière n’a pas de patrie. Réfléchis un peu à ce qu’il voulait dire, Marx, lui qui a passé toute sa vie en exil.

Je suis chez moi en France. La liberté est pour moi comme la nourriture ; sans elle, je serai mort. Je suis bavard, j’aime écrire, je n’ai jamais compris pourquoi mais j’avais déjà l’esprit indépendant vis-à-vis de la propagande du gouvernement quand j’étais très jeune. Mes copains me disaient déjà à l’époque : c’est dommage et dangereux que tu sois en Chine. Je savais bien, ma famille et mes amis savent aussi que, avec mon caractère et ma personnalité (je ne suis pas seul ainsi, j’ai vu tant d’hommes comme moi, plus âgés, déportés ou écrasés moralement) si je restais en Chine, même sans l’événement de 1989, je serai soit en prison, soit étouffé à la folie. Toi, comme beaucoup de français, vous êtes habitué de vivre en liberté, tu ne sais plus l’apprécier, voire la détester ; vous n’êtes plus capables de comprendre le douleur des hommes qui aiment réfléchir, s’exprimer mais vivent dans un pays sans liberté, vous êtes donc incapables de comprendre le plaisir de quelque un qui a retrouvé la liberté. J’aime bien discuter avec les français, je suis chinois quand je suis avec mes compatriotes, je deviens français quand je suis avec eux. Je n’ai jamais appris autant de choses, je n’ai jamais eu autant des amis, je n’ai jamais fait autant de voyages que depuis que je suis en France..., de plus, n’ai jamais eu autant de publications, en chinois et en français.

Naturellement, la Chine me manque, même beaucoup, c’est le prix que je dois payer, il n’y rien gratuit dans ce monde. La nostalgie contre la liberté, c’est très rentable pour moi comme transaction. Et plus, ma famille et mes amis sont venus ou peuvent venir. Je travaille avec et pour les chinois en Chine, je sais que je suis utile pour elle.

La voilà, la patrie, j’en ai deux.

Merci encore à Cai Chongguo de nous rappeler quelques vérités essentielles. Je signale au passage que la question de la double identité a été aussi très intelligemment discutée par Amin Maalouf, un écrivain libanais, dans Les identités meurtrières.

[c’est] Pour cela que tu restes souvent comme un râleur, pour cela vous avez besoin de croire au marxiste sans le comprendre parce que vous n’avez pas votre propre l’histoire national, sans conscience historique nationale, on ne comprendra jamais les sciences sociales.

Le moins qu’on puisse dire c’est que Lao Cai a les idées claires.

Encore merci l’ami !

PS : J’en profite pour remercier aussi le chef de gare Wu Fa Hsien qui du fait de son extrême méchanceté déclenche, bien malgré lui, pauvre homme, ces commentaires intelligents.

[1avec juste qq corrections d’orthographes, j’espère qu’il ne m’en voudra pas trop.

Posté le 31 octobre 2006