’Still Life’ et ’Une jeunesse chinoise’ : Deux films chinois à voir en ce moment

Sur l’excellent site d’info Rue89.com, on peut lire la recommandation pour deux films chinois, Still Life de Jia Zhang-ke "Sanxia haoren" et Une jeunesse Chinoise (ou Summer Palace ou encore "Yihe yuan" de Lou Ye). On peut les voir, en effet, mais ma déception est grande. Notamment pour celui de Jia Zhang-ke qui avait fait des films étonnants de rigueur comme le Pickpocket et Plaisirs inconnus. Evidemment, cela ne fait pas lui un mauvais cinéaste : bien au contraire. Mais justement, j’en attendais peut-être un peu plus.


Lire :

Moi plutôt fan de cinéma chinois —je considère par exemple Puit aveugle ("Blind shaft" ou "Mang jin") de Yang Li et Lan Yu

 [1] sont des chefs d’oeuvre du cinéma mondial [2]— je trouve ces deux films très décevants.

Still Life (de Jia Zhangke) est un film long et je pense que la meilleure image est celle où les mingong regardent les l’une des célèbres trois gorges sur un billet de 10 RMB. Tout un symbole. Le film en est bourré. Le personnage principal est un homme qui se retrouve à Fengjié la ville qui va être engloutie au milieu des décombres à démolir à la masse les immeubles anciens... Il y était venu chercher sa femme et sa fille. Mais il les a perdues toutes deux irrémédiablement, un peu sans raison, peut-être parce qu’il est un paysan, peut-être parce qu’il ne s’entendait pas bien avec sa jeune épouse qui a filé réussir ailleurs mais n’a pas trouvé le bonheur ni la réussite. Sa fille est partie encore plus au Sud, à Dongguan, apprend-on. Le Sud, "plus au Sud qu’au Sud" dit le personnage, une véritable métaphore de la réussite. Il n’ira pas plus loin semble-t-il, il n’ira pas voir si sa fille ne s’est pas perdue elle aussi (ce qui est probable).

Deuxième histoire celle de cette femme qui va retrouver son mari qui est passé d’ouvrier migrant à patron, un peu mafieux sur les bords. Visiblement il a réussi. Il ne refuserait pas de récupérer sa femme mais ne fait rien pour. Et elle repartira. Voilà c’est tout.

Le film est parsemé de symboles signifiants de la "sinité" moderne (les clopes, le thé, l’alcool). C’est beau à voir et ça passe sans vraiment de position, d’histoire à proprement parler. On se contera de regarder les paysages, les images certes hallucinantes de la ville qui s’écroule sous les pioches et les explosifs. Tout cela est un peu creux. Les deux personnages illustrent des contrastes (homme/femme, échec/réussite, ville/campagne). Les symboles sont très visibles et soulignés. Les images sont saisissantes de réalité. Mais le tout est creux.

D’ailleurs on n’apprend rien des deux personnages vraiment. On a aussi du mal de ressentir leur peine. Dans le genre quête de ses enfants et vision de la modernité le film "Voiture de luxe" de Wang Chao (qui se passe à Wuhan) me semble beaucoup plus juste et plus fort. Bref la critique sociale, le regard acerbe et acéré du Jia Zhangke de "Pickpocket" et "Plaisirs inconnus" est bien loin.

Plus long encore, "Palais d’été" (titre chinois de Une jeunesse chinoise de Lou Ye, réalisateur de Suzhou River) est un vrai échec (il s’appelle ainsi car les jeunes se recontrent sur le lac du palais d’hiver). Car au-delà du fait que les acteurs jouent bien, que voit-on ? Des histoires de coucheries assez communes. Le seul personnage un peu construit est cette étudiante, l’ami de l’héroïne, qui semble être une artiste et qui du reste se suicide. Le film se passe en deux temps : un temps chinois et un temps en Allemagne. Le temps des étudiants juste avant et pendant le soulèvement de Mai-Juin à Tiananmen, le temps de la fuite en avant et de l’exil peut-être volontaire (on ne sait pas, le film ne le dit pas). La particularité de l’héroïne est que tous les jeunes du dortoir aimeraient bien se la taper ! Un peu maigre comme description du personnage.

Le film est long mais manque un peu de souffle : on s’ennuie ferme en Allemagne et aucune situation ne semble mériter un tel débordement dans le temps si ce n’est que le réalisateur ne sait pas choisir ses images. Tout cela se veut factuel mais en réalité est d’un ennui mortel. L’évocation de Tiananmen dans "Lan Yu" me semble être autrement plus forte que ce débordement ici présent. Il y a de plus aucun engagement réel.

Bref, ces deux films me donnent l’impression de refléter les dangers du meilleur cinéma chinois : une attention pour la forme sans se préoccuper du récit et une qualité de l’image qui se satisfait à elle-même.


[1Il est vrai que Stanley Kwan est un cinéaste de Hong-Kong et je me demande si un cinéaste ’du continent’ aurait pu raconter cette scabreuse histoire d’homosexuel pékinois

[2Et nombre de films comme Shanghai Story (Qing Hong) et Voiture de luxe prouvent que la Chine ne manque pas de cinéaste dans la veine du cinéma réaliste

Posté le 20 mai 2007