Résistance et danger

Ou comment les habitants de Hong-Kong perçoivent l’état chinois.

Nous sommes à Hong-Kong. J’écoute la conférence, très docte, de deux chercheurs Hong-Kongais sur les lotissements illégaux en Chine, comme il en existe des centaines de milliers, situés dans les « villages » en plein centre des villes (il y en a 139 rien qu’à Canton). Ces deux hommes formés à l’anglaise et parfaitement sereins, présentent leur argument en insistant sur le fait qu’en ce moment en Chine on assiste à un renforcement de l’Etat, en même temps qu’une décentralisation et une multiplication des niveaux administratifs. Tout cela rend la vie des paysans -formellement définis comme ceux qui ont un hukou (permis de résidence) rural- très difficile. Leur vie s’est urbanisée, par la force de l’extension urbaine, mais leur statut officiel demeure celui de paysans. Il n’ont pas d’autres choix que de faire ce qu’ils font : construire des étages supplémentaires sur leurs maisons, qui deviennent autant de résidences illégales, et les louer à des travailleurs migrants pour quelques dizaines de Yuans.

J’écoute la conférence, les exemples, et un exposé finalement très modéré et scientifique qui parle de la capacité de résistance des paysans au milieu de la ville, acculés à vivre de cette manière. Leur argument est intéressant, bien illustré et convaincant. Les auteurs sont prudents et ils mentionnent aussi l’inefficacité des structures collectives officielles qui sont censés défendre les villageois mais en fait sont des outils aux mains des cadres locaux pour s’enrichir, ce qui, dans le village dont ils parlent, est de notoriété publique.

Après l’exposé, commencent les questions des participants. L’un d’eux demande :"vous dites que l’état (chinois) s’est renforcé. A quoi voyez-vous cela ?". L’un des conférenciers, se lève pour répondre. En silence. Il attend longuement avant de formuler sa réponse. Une sorte de gêne s’installe. Puis il allume le rétro-projecteur et dit : "Voilà quelques éléments de réponse issus d’un autre travail que je viens de présenter". Puis il sort des copies d’articles de journaux : répression des moyens de communication, la presse contrôlée et bâillonnée, la photo des condamnés à mort sur le camion qui les mène au peloton d’exécution, les mesures de contrôle même des entreprises aussi innocentes que les entreprises de tourisme, bref la main-mise permanente de l’état dans la vie sociale et économique. A fleur de peau : le professeur n’avait pas de mots pour exprimer son rejet de cet état autoritaire et omniprésent, qui a démontré que sa capacité de répression et de contrôle est intacte. La réponse fut bien comprise, personne ne demanda des précisions, mais de plus le ton était donné. D’autres questions continuent ensuite sur des aspects plus "techniques" de leur démonstration et leurs observations.

Après la conférence je rencontre le conférencier et lui parle de son intervention. "Oui, oui, nous avons aussi à parler de cela", me dit-il à un moment où nous abordons la question du rôle de l’état chinois. "Il me semble, dis-je, que seuls des Hong-kongais finalement peuvent dire cela, et de cette manière !". Je pensais notamment à la résistance des habitants de Hong-Kong face aux manoeuvres de Beijing pour contrôler la vie politique de l’ancienne colonne britannique.

Et le professeur de répondre :

— We put ourselves in jeopardy !

Hong-Kong le 12 février 2004

Posté le 15 février 2004