L’inaptitude au fondu enchaîné : Régis Debray sur notre temps, en passant par Walter Benjamin...

Régis Debray sur notre temps dans un texte étonnant où il parle de comment « nous vivons une discordance des temps ».

J’ai entendu (en retard - mais cela n’a aucune importance) cette "conférence", plutôt ce magnifique texte lu par Régis Debray, d’une grande beauté, d’une grande intelligence, un texte exceptionnel, sur notre temps, sur notre blocage politique, notre aveuglement, notre incessnte retour aux sources,suer ce profond dilemme que nous avons hérité de la modernité, une leçon sur le besoin de confronter le techno-économique au politique et culturel,un texte assez terrible, fascinant et parfois drôle ("l’effet jogging" m’a fait hurler de rire). Une grande lucidité, un appel à rester dans le temps, ni derrière, ni devant, ni prophète, ni pleureur. Magnifique. (et je remercie Annie C. de me l’avoir signalé)

Régis Debray parle de notre temps dans un texte étonnant ou comment « nous vivons une discordance des temps ».

Notre temps où la Religion est redevenue reine, les jeunes « devenus des maurassiens, » prêts à égorger pour leur Dieu. Une époque qui semble vouloir revivre le barbare.

Notre temps , cette sortie du XX siècle, ressemble à la sortie des Lumières et "partage une même grande gueule de bois" : se coucher au son de l’Internationale et se réveiller au son d’un appel à prière ou du chant d’une prière. Qu’avait de commun cette époque et la nôtre : l’naptitude au fondu enchaîné.

La politique est toujours une affaire de culture, ce qu’il est difficile à comprendre à un adepte de business school ou de l’ENA.

Drôle : (en dehors de l’effet jogging...
" Un excès de Coca-Cola à l’entrée c’est un excès d’ayatollah à la sortie !"

Trop de télévision, ça ampute la vision !

Le terrorisme ne sera pas vaincu par la guerre, de même que l’anarchisme ne l’a pas été par la guerre mais par l’organisation du mouvement ouvrier et la Révolution Russe.

La bande disaporique met du frottement là où il n’y en avait pas. Là où l’espace devient entremelé et réactif. Les franges extrêmistes, car les bordures sont plus inflammables que les centres : la défense immunitaire du contact prend la forme du fanatisme.

Le dialogue des civilisations devrait être donné aux dermatologues.

Plus le contenu doctrinal s’estompe et plus les signes extérieurs s’exhibent, plus l’ignorance domine et plus les fondamentalismes s’affirment, le néofondamentalisme est d’autant plus sectaire qu’il est inculte.

Le temps long des mémoires se surimposent sur les temps courts d’hier : les partis, les fédérations, les états, les nations s’effacent au nom des anciennes solidarités, des symboles venus du fond des temps — des frontières modernes qui sont contestés par les anciens découpages.

Et un détour par Walter Benjamin sur le progrès, à partir d’une description du tableau de Paul Klee, Angelus Novus :

« Il existe un tableau de Klee qui s’intitule Angelus novus. Il représente un ange qui semble avoir dessein de s’éloigner de ce à quoi son regard semble rivé. Ses yeux sont écarquillés, sa bouche ouverte, ses ailes déployées. Tel est l’aspect que doit avoir nécessairement l’ange de l’histoire. Il a le visage tourné vers le passé. Où paraît devant nous une suite d’événements, il ne voit qu’une seule et unique catastrophe, qui ne cesse d’amonceler ruines sur ruines et les jette à ses pieds. Il voudrait bien s’attarder, réveiller les morts et rassembler les vaincus. Mais du paradis souffle une tempête qui s’est prise dans ses ailes, si forte que l’ange ne peut plus les refermer. Cette tempête le pousse incessamment vers l’avenir auquel il tourne le dos, cependant que jusqu’au ciel devant lui s’accumulent les ruines. Cette tempête est ce que nous appelons le progrès. » Walter Benjamin, Thèses sur la philosophie de l’histoire

Maintenant que la modernité est passée du côté de l’antiquité, l’ordre du jour à changé : il ne s’agit plus de changer le monde mais de l’empêcher de partir en morceaux.

Posté le 26 février 2016