Une nouvelle de Rigas Arvanitis — écrite le 17 septembre 2001 après avoir vu s’écrouler les tours du World Trade Center. L’entrée dans le XXI siècle en direct...
Dernier message
« Ouaiii, super ! Un film d’action ! ». C’est ce que se dit Marc en regardant la télé. Il avait envie de revoir un bon polar ou un film de science fiction. Mais ici en Chine, ces choses étaient rares et il n’avait pas encore acheté un lecteur de DVD. En allumant la télé, il vit un avion percuter l’une des tours du WTC. Il trouvait que le réalisme de l’image était surprenant. Un excellent metteur en scène. Puis, comme le son était baissé, il alla se chercher une bière en se délectant déjà de l’excellente soirée qu’il allait passer.
Vivre en Chine l’avait un peu isolé du monde extérieur, en particulier de ses Etats-Unis natals. Les films qui passaient sur la chaîne hongkongaise étaient un réconfort le soir à onze heures. Il s’installe sur le canapé et regarde l’image du WTC en feu, comme une énorme chandelle avec son large panache de fumée noire. Un avion apparaît sur l’écran et percute la deuxième tour du WTC, plus bas, s’ensuit une gigantesque explosion. Marc est vraiment content de voir un aussi bon film. « Génial ! Vraiment ces gus savent s’y prendre, quel réalisme ! ».
Cela lui rappelle les tentatives ridicules de film qu’il avait entrepris en sortant du collège. Son frère était bien plus doué que lui avec la vidéo, mais cet imbécile ne s’intéressait qu’à l’argent.
Quand Marc décida de se spécialiser en Chinois, John se son côté décida de se lancer dans les finances. Il fit un stage de courtier dans une banque à New York. L’année d’après, les deux frères réussirent à s’arranger pour obtenir des bourses et passer ensemble un an à Hong-Kong. Ce fut une des années les plus heureuses qu’ils passèrent ensemble. Ils découvraient un monde nouveau et chacun dans son domaine avait le meilleur. John faisait de stages à la HSBC et dans des petites boîtes de courtiers alors que Marc travaillait avec des profs de communication de l’Université des sciences et des technologies de Hong-Kong. Il avait réussi aussi à se faire engager comme assistant sur un des plateaux de tournage d’un de ces innombrables films de karaté.
La solidarité des deux frères était légendaire. Marc disait aux amis que John allait être son producteur quand plus tard il ferait du cinéma. John de son côté annonçait tous les succès futurs de son frérot.
Marc pris la télécommande et remis le son. Les images floues d’une caméra sur l’épaule faisaient vraiment plus vrai que vrai. « Incroyable. Il suffisait d’y penser. En imitant le mouvement de la caméra et avec peu de moyens, ces gens faisait une image plus vrai que vraie ». C’est en voyant apparaître la tête de Dan Rater sur le petit écran, que le réalisme lui sembla tout d’un coup trop fort. Le commentateur de CBS expliquait que tout semble montrer que la chute des deux avions sur les tours du WTC n’était rien d’autre qu’un attentat, que Washington rapportait le vol d’un troisième avion au dessus du pentagone qui lui aussi s’était écrasé.
Qui, quoi, où ?? Marc pensa soudain que peut-être que les images n’étaient pas celles d’un film, mais des images filmées sur le vif et retransmises dans un bulletin extraordinaire de la télé américaine. « Le World Trade Center... Impossible, inimaginable, le WTC... Les tours les plus grandes du monde, enfin presque les plus grandes, les plus connues certainement. »
Les deux tours s’étaient déjà effondrées sur le petit écran. Marc, se demande si cela pouvait être vrai. Non, évidemment pas ! Il éteint la télé, la fatigue l’emportant. Mais il avait trouvé que ce film tirait trop sur la ficelle du réalisme... Un doute. Il se lève et prend son téléphone, 001.... en regardant la télé, Marc écoute la tonalité « occupé » à l’autre bout du fil... Il doit être 9:45 du matin à New York se dit Marc.
A cette heure là, il est vrai que joindre John au téléphone relevait de la gageure. Généralement il l’appelait plus tôt avant qu’il ne parte travailler à Wall Street. John était devenu un cadre super-performant, il gagnait plein d’argent et il avait promis que dès qu’il aurait atteint son premier million de bénéfices, il financerait un projet de scénario de son frérot artiste.
Marc avait même envoyé le scénario à son frère avec ce petit mot « Grand frère, comme on dit ici chez les jaunes, tu trouveras mes idées d’images sur ce petit cahier. Prends-en bien soin et ne m’oublie pas complètement en devenant riche ! I love you, Marc. ». Les deux frères s’écrivaient souvent depuis que Marc avait trouvé un job intéressant à Canton et que John s’était retrouvé à New York au siège de la Loans and Strategic Investments Inc. Une boîte sino-américaine qui avait déplacé son siège social de Hong-Kong à New York. Les deux frères utilisaient évidemment le mail mais Marc, plus vieux jeu, envoyait aussi des vraies lettres, des « snail mails », en notant sur l’enveloppe des petits commentaires : « une lettre dans une enveloppe pour voir si tu sais encore te servir d’un coupe-papier ». La globalisation -on lui serinait cela à longueur de journée- se réalisait en effet dans les ordinateurs et les réseaux mondiaux. Le double-clic avait remplacé le son du papier déchiré. Marc aimait moins les ordinateurs que son frère ultra-moderniste. Mais tous deux aimaient se lancer des piques et se faire concurrence pour savoir qui aurait la meilleure répartie.
Marc éteint la télé et essaye encore deux ou trois fois d’appeler John, mais ça sonne toujours occupé. Il décide d’aller se coucher. Après tout, demain sera un autre jour. Il s’endort alors en se disant que tout de même ces images étaient terribles.
Un appel au téléphone le tira de son premier sommeil. Sa première pensée fut John. En se réveillant il se souvient du dernier mail de John, qu’il avait reçu hier soir. « Et puis la bonne nouvelle du jour c’est que ma boîte va changer de bureaux et qu’à partir de demain, mon nouveau bureau se trouve au 75ème étage de la tour Sud du WTC ! ».
Rigas Arvanitis
Canton le 17 septembre 2001