Chine : Les futurs de l’atelier du monde

Quelles sont les possibilités de poursuivre la croissance en Chine

Comme un bonheur ne vient jamais seul (voir la récente pblication d’un article sur l’apprentissage technologique), ZHAO WEI et moi-même venons de publier un article sur la possible évolution de la Chine. ON se mouille un peu là.

L’ « atelier du monde » peut-il évoluer ?

Le cheminement des entreprises chinoises de l’émergence à l’innovation

Wei ZHAO Rigas ARVANITIS

Référence : Zhao, W. et Arvanitis, R. (2014). L’ « atelier du monde » peut-il évoluer ? le cheminement des entreprises chinoises de l’émergence à l’innovation (Numéro spécial sous la direction de Zeting LIU). Marchés et Organizations. N°21.

RESUME : Si la Chine a connu une rapide croissance dans les 25 dernières années, en partie due aux politiques proactives du gouvernement qui a su exploiter l’avantage d faible coût de la main d’œuvre, cela a permis de créer un environnement économique dans lequel les entreprises sont dépendantes des technologies fournies par leurs clients étrangers, sous une variété de formes de « Joint-ventures », sous-contratation, production OEM, etc. La croissance future dépendra de l’amélioration technologique qui va devra s’appuyer moins sur la capacité propre des entreprises que sur les politiques industrielles. Cependant, développer une base technologique nationale constitue un véritable défi pour l’industrie chinoise que nous détaillons dans ces pages.

Mots clés : Chine, politique industrielle, entreprises, capacité d’innovation, apprentissage technologique, développement technologique.

Quelques idées dans l’article :

Nous résumons tout d’abord les conditions qui ont donné forme à la croissance industrielle chinoise :

  • un système d’accumulation rapide du capital et d’investissement masse où l’investissement a formé du capital fixe représentant environ le double de la vente des marchandises en valeur ;
  • une réserve illimitée de main-d’œuvre rurale peu chère, ainsi que l’absence de protection sociale et de sécurité au travail ;
  • la croissance de l’offre de la main d’œuvre qualifiée : grâce à son système d’éducation, durant les dix dernières années, le nombre des diplômés des universités a beaucoup augmenté ;
  • de faibles contraintes institutionnelles à la production industrielle : pas de syndicats de salariés, pas de protection environnementale, exempte de propriété intellectuelle, etc.
  • des infrastructures de grande échelle et l’abondance de fournisseurs de composants industriels ;
  • une forte imbrication dans la mondialisation de la production industrielle et la standardisation de technologies complexes : la plupart des techniques de procédés devenues du savoir-faire « commun » est utilisé pour alimenter des chaînes globales de valeur essentiellement dirigées par des firmes occidentales. Le gouvernement chinois en retire à la fois des devises, la stabilité de l’emploi, tout en évitant que ne se constitue une véritable classe d’entrepreneurs chinois qui pourraient constituer un rival de la classe dominante actuelle ;
  • enfin, un pouvoir d’achat et des besoins de consommation croissants sur le marché intérieur.

La question se pose alors de savoir si le pays pourra générer une capacité technologique pour aller outre les limites inhérentes de ce mode de croissance.

Ensuite nous passons en revue les conditions de l’innovation dans les entreprises chinoises, sujet sur lequel nous avons pas mal publié (voir liste ci-dessous). Après avoir donné quelques chiffres sur la R&D et la politique industrielle. Nous précisons

Malgré cette forte croissance de la R&D et l’apparition d’entreprises dotées d’une certaine capacité technologique (Arvanitis, Zhao, Qiu et Xu, 2006 ; 2008), rares sont celles ayant un mode d’apprentissage technologique fondé sur la R&D et l’innovation (Zhao, 2006 ; 2013). La capacité d’innovation et d’apprentissage technologique des entreprises dépend pour beaucoup des liens avec des fournisseurs et clients, avec l’environnement immédiat, avec des organismes et institutions qui peuvent alimenter en technologies l’entreprise et permettre de consolider la R&D et l’ingénierie de l’entreprise.

Pour examiner l’innovation nous examinons les exemples précis d’entreprises dans quelques clusters industriels : Dachong (production de jean) que nous étudions après le travail de terrain remarquable de Jean Ruffier, Humen (district de la ville de Dongguan). Ces entreprises dans les clusters « commerciaux », comme ceux de Dachong et Humen, ont été et restent un des principaux instruments de soutien aux activités économiques des entreprises tournées vers les produits de consommation. Ce pour quoi la Chine est connue.

La situation est très différente pour les entreprises d’Etat et les « champions » industriels, c’est-à-dire des entreprises qui se situent sur des segments de marché « stratégiques » et où, aujourd’hui encore, la forte présence de l’Etat se fait sentir. Mais alors que tout le monde étudie les entreprises qui marchent (LeNovo, Haier, Huawei, ZTE et bien d’autres) nous étudions le cas d’une entreprise qui a fait faillite bien qu’elle ait été un fournisseur de INTEL et une entreprise « stratégique ». Cet exemple au passage montre la difficulté d’obtenir des infos fiables sur les entreprises : il nous a fallu voir cette entreprise deux fois à Zhaoqin (e Canton) et nous avons compris les questions commerciales stratégiques qui ont laminé l’entreprise après un voyage dans la Silicon Valley où nous avons interrogé INTEL –pour qui la question de Fenghua était loin d’être importante ou stratégique.

Fenghua est un exemple de l’extrême fragilité de la spécialisation technologique très poussée par des entreprises qui bien que « championnes » au niveau national en Chine, n’en sont pas moins fortement en décalage par rapport à leurs concurrentes étrangères.
Nous examinons aussi le cas de l’entreprise BOE (écrans plats et moniteurs) qui a aussi perdu beaucoup d’argent et de temps avant de comprendre que l’intégration des savoir faire est aussi important que l’achat d’une marque ou d’un brevet. Cette même conception erronée est illustrée par l’industrie automobile.

Par contre, les entreprises innovantes qui misent sur la R&D nous semblent pouvoir survivre et échapper à la malédiction qu’ont subi des entreprises comme TCL ou les groupes automobiles chinois.

Et il nous semble que le pays devrait mieux s’en sortir si les stratégies publiques se fondent sur la promotion de ces entreprises :

L’Etat chinois leur a facilité la tâche mais l’échec d’un champion comme Fenghua montre que le seul appui de l’Etat est insuffisant. Le cas de Fenghua peut paraître extrême : il ne l’est probablement pas autant qu’il y paraît et illustre un phénomène apparemment paradoxal. Quelques dix ans auparavant la Chine a promu des entreprises comme « champions nationaux » censés permettre d’améliorer la capacité technologique du pays et sa croissance industrielle (Huchet et Richet, 2005). Malgré leur taille conséquente, ces entreprises officiellement les mieux situées sont rarement à la pointe de la technologie. Il y a encore peu d’exemples de réussite technique chinoise. Des domaines nouveaux comme ceux des nanotechnologies sont investis massivement mais pour atteindre des niveaux technologiques que l’on peut qualifier de « moyens » plutôt que de mondialement à la pointe (Kahane, 2012).

Dans l’ensemble, la performance d’innovation des entreprises les plus susceptibles de représenter les entreprises à la point de l’industrie chinoise semble assez décevante. Le constat mitigé de l’OCDE qui exprime son admiration du chemin parcouru et l’incertitude quant au futur indique que ce constat est partagé par les autorités du pays.

La grande variété des établissements industriels rend impossible toute généralisation. Par contre nous pouvons affirmer que la particularité de l’industrialisation chinoise est d’avoir construit une capacité productive fondée sur une forte interaction avec les clients, notamment étrangers, comme fournisseurs de technologie et que cet apprentissage technologique s’est consolidé à travers l’expansion du marché intérieur. Ce « modèle chinois » contient un potentiel de croissance et d’amélioration qui est encore sous-exploitée et qui pourrait se fonder sur des investissements en R&D conjoint avec les institutions de recherche.

L’opacité des mécanismes de mise en relation des entreprises avec les autorités rend extrêmement difficile toute généralisation. La taille du pays ne permet pas de faire l’hypothèse, toujours sous-jacente, de l’existence d’une action uniforme des autorités gouvernementales. Les centres de décisions sont multiples et leur statut est variable dans la mesure où les municipalités, les provinces, les districts peuvent s’avérer plus ou moins dirigistes, plus ou moins habiles. D’autre part, le flou existant sur le statut de la propriété se répercute dans la gestion des entreprises : mêmes privées, même grandes en termes de chiffre d’affaire et d’emploi, elles peuvent se trouver sous la coupe de telle ou telle autorité dirigeante. A l’inverse, des acteurs publics, comme les sociétés de développement peuvent être privatisées et s’opposer assez nettement à leurs anciennes tutelles. Nous avions déjà relevé qu’une grande partie des succès industriels chinois provenait, de manière contre-intuitive, de la multiplicité des politiques industrielles mises en œuvre (Zhao et Arvanitis, 2008).

Cette multiplicité des décideurs industriels et des modes de décision reste encore un atout pour la Chine. Du fait de la taille du pays, un grand nombre d’expériences, de modes de gestion sont testés et observés par une administration, assez ouvertes aux « expérimentations » et qui estime pouvoir toujours « reprendre la main ». Les limites un peu floues de la propriété des entreprises facilitent ces situations où se mêlent les liens personnels (guanxi, évidemment, mais bien au-delà, liens professionnels et « techniques »), les décisions partagées entre les cadres des entreprises et les cadres politiques ; et, dans la mesure où ces décisions permettent d’étendre les réseaux de production, ces limites floues des entreprises favorisent le développement industriel. Cette même absence de claire délimitation des liens contractuels entre les entreprises et leur milieu peut être source d’accaparement, de corruption et de malversations, dénoncés par des économistes, comme He Qinglian (2000) à leur corps défendant.

De ce fait, le futur de l’industrie chinoise reste probablement moins prévisible que celui de la plupart des pays. Il ne dépend pas uniquement de la croissance de l’économie mondiale ; il ne dépend pas uniquement de la logique économique ; il ne dépend pas entièrement des décisions politiques ; il n’est pas entièrement contenu dans l’impulsion extrêmement forte de l’entreprenariat privé. Nous sommes dans un cashistoriquement exemplaire de la mise à niveau schumpétérienne qui nous réservera de nombreuses surprises, provenant d’entreprises inattendues, de régions inattendues et de secteurs d’activités qui seront également des surprises. Car aujourd’hui, plus qu’au moment des années de réforme, les entreprises industrielles en Chine deviennent plus complexes, les situations moins évidentes et les sources de bénéfices moins claires. Ainsi, les acteurs économiques se trouvent à devoir inventer leur propre réponse à une crise d’un genre nouveau.

ABSTRACT

Although China’s rapid industrial development in the past 25 years is due to the government’s policy push which successfully exploited China’s cheap labour base, it also created an environment in which Chinese firms become path-dependant on acquiring technology from foreign companies as their clients, under the forms of JV, subcontracting and OEM production, etc. From now on, China’s upgrading performance will count more on firms’ own innovative catch-up strategies than the government’s industrial policy. However, developing indigenous innovation capacity at firm level is the biggest challenge to the Chinese industry

Key words : China, industrial policy, enterprise, innovation capacity, technological learning, technological development.

Classification JEL : O30, O14, O38, O53, O10.

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Posté le 10 septembre 2014