Un récit dans un pays imaginaire qui mangeait ses hommes

Chapitre 1. De passage

Premier chapitre "Le pays ..."

Ce récit est dédié à Stelios qui m’avait dit "Un pays qui mange ses hommes" pour parler évidemment du sien

Cette lumière tamisée à travers les persiennes sera sûrement l’image qui lui restera dans la tête en se souvenant de cette rencontre. La pénombre baignait la pièce. La lumière interrompait par moment cette plénitude, cette fraîcheur de l’espace. Sans trop savoir pourquoi, la jeune femme qui lui avait ouvert la porte l’avait laissé rentrer sans même lui demander son nom, comme si elle l’attendait. Elle gardait ses yeux fixés sur lui et le suivait du regard. Quand il s’arrêta, interrompant ses pas dans la pièce, il se retourna et vit ses yeux qui brillaient dans l’ombre.

— Vous cherchez Madame Ira ? lui demanda la femme.
— Oui. Voulez-vous lui dire que je suis venu la voir. Je suis de passage, Madame Ira me connaît.

Avant de repartir, Bai eu tout le temps de voir le visage parfait de la jeune femme qui n’arriv pas à retirer ses yeux de lui. Puis sans faire de bruit la femme se retira après lui avoir indiqué un fauteuil. Bai ne s’assis pourtant pas. Il fit quelque pas dans cette pièce spacieuse et sombre. Les vieux meubles, le tapis en soie, les fauteuils de bois noir brillants de tous leurs feux, le bureau imposant et lustré, tout ici sentait un espace peu utilisé, neuf, morne mais serein. Il reconnu un portrait de Ira qu’il avait déjà vu autrefois. Au fond de la pièce une cheminée qui n’avait jamais été utilisée trônait au milieu du mur. Il se pencha pour examiner les photos qui étaient installées sur le marbre de la cheminée. Ira, un garçon tout petit dans les bras, Ira aux bras de son mari, Ira dans un parc, Ira en robe de mariée. Sur toutes les photos, Ira jeune, moins jeune, belle, les cheveux au vent, souriant de ce sourire qui lui avait toujours plu.

La porte de côté s’ouvrit laissant passer un rayon de lumière.

— Oui.... que voulez-vous ?
Il se retourna et vit son étonnement se dessiner sur son visage. Mécaniquement, la femme qui était rentré dans la pièce et qui ne ressemblait que très peu aux photos sur la cheminée lui tendit la main, puis la retint et la laissa retomber :

— Bai, c’est toi ?

Ses yeux écarquillés trahissaient son étonnement bien plus que ses paroles.

— Oui, Ira, c’est moi
— Quelle surprise !
— N’est-ce pas !

Il voulu s’approcher d’elle mais son regard peu avenant l’en empêcha.

— Que fais-tu là ?
— Eh bien je suis de passage, je voulais te voir.
— Tant de temps...
— Oui, c’est ce que je me suis dis aussi. Je voulais te revoir.
— Asseyons-nous, veux-tu.

Il la suivit vers le canapé. Elle s’installa et il revit se geste qu’elle faisait en s’asseyant en se frottant les cuisses du dos de la main. Il sourit, puis s’assit en face d’elle.

— Tu dois avoir soif, il fait chaud.

Sans attendre elle se leva et d’une voix forte lança :

— Elia, s’il te plaît.
La domestique qui l’avait fait rentrer apparu dans l’embrasure. Il ne voyait pas son visage caché par la pénombre, mais la lumière en contrejour dessinait un corps parfait dans sa jupe fine. Il resta un instant à la regarder et entendi Ira lui ordonner dapporter à boire. La domestique disparu dans la lumièr refermant la porte derrière elle.

— Quand es-tu revenu ?
— Il y a quelques jours. Je viens de trouver un appartement car je crois que je vais rester quelque temps.
— Alors, les voyages c’est fini ?
— Non pas vraiment, mais il me faut me reposer parfois. Tu sais même les vagabonds bon-à-rien doivent se reposer.

Elle rit de bon cœur au souvenir de l’expression qu’elle employait autrefois pour le qualifier. Vagabond bon à rien.

— ... mais les vagabonds bon à rien ne travaillent pas n’est-ce pas.
— Non ils s’occupent.

Ils rirent de bon cœur.

La domestique revint interrompant un long silence pendant lequel Ira détaillait l’homme assis face à elle comme un inconnu. Quand la domestique fut partie, Ira se pencha pour servir un jus de fruit :

— Voilà de quoi nous rafraîchir. Tu n’as pas veilli. Non, pas une ride de plus.
— J’en avais déjà beaucoup n’est-ce pas ?

Ils rirent de nouveau, nerveusement.

— Que veux-tu ? demanda Ira après avoir bu une gorgée de jus. Que cherches-tu, ajouta-t-elle sans attendre de réponse. Le temps est passé tu sais. Le temps est loin où nous sommes vu pour la dernière fois.
— Oui je sais.
— Et on ne refait pas l’histoire.
— Mais l’histoire et moi, comme tu sais, on n’est pas très amis.
— Pas plus que la réalité, ajouta Ira en riant.
— Et toi ?
— Eh bien tu vois. La maison, mon mari, mon fils, nous sommes venu ici il quelques mois à peine. La maison vient à peine d’être terminée.
— Ton mari ?
— Il viendra tout à l’heure si tu veux le rencontrer, il sera là à cinq heures.
— Non je veux dire, c’est...
— Oui c’est lui.

Le silence se fit lourd, comme suffisant à tout expliquer.
— Tu ne veux pas rester manger avec nous.
— Non j’ai à faire ce soir. Mais dis moi, serais tu libre demain ou dans la semaine.
— Libre je le suis, tout le temps maintenant.
— Ah ?
— Oui j’ai laissé le journal. Mon fils a besoin de moi.
— Ton fils ou ton mari ?
— Et la maison aussi me donne bien du souci. Il a fallu tout refaire, car nous avons acheté une maison vide et neuve. Tu sais comment c’est ici. Il faut courir derrière les ouvriers en permanence sinon ils ne font rien de bien. J’ai aussi fini d’installer notre maisonnette à la campagne. Nous avons acheté l’appartement l’année dernière, car mon fils a besoin d’une pièce à lui. J’ai aussi fait déplacer la cuisine, bref des gros travaux, et des petits soucis, le quotidien est bien compliqué.
— Et tu as de l’aide.
Oui, Elia m’aide beaucoup.
— C’est... fit-il en indiquant la direction de la porte.
— Oui c’est elle, une jeune femme très bien. Elle m’a été recommandée par la femme d’un camarade de mon mari. Elle était dans un foyer de femme seule. J’ai aussi pris sa fille à la maison. Elle va à l’école, je suis contente, c’est une bonne élève, travailleuse. Et Elia est très soigneuse autant avec nous qu’avec sa fille. Mais tout cela doit te paraître d’une affligeante futilité.
— Non, non. Raconte moi. Je sui là pour ça.

  • Oh non tu n’es pas là pour ça. Tu es là pour me tourmenter. Mais tu sais, Bai, je n’ai pas besoin de ça, je ne veux pas de complications. Je suis heureuse, tu sais.
    — Oui, je vois, enfin, je veux dire je crois comprendre.
    — Oh non ! Tu ne comprends pas. Tu ne peux pas comprendre. Vous, les hommes, vous croyez qu’on peux aller et venir comme ça, sans payer. Mais ici tout se paie, tu sais. Et j’ai payé. Et toi tu ne sais pas ce que c’est de payer, toi tu ne connais pas la valeur des êtres chers, tu ne connais que ta vie, celle des êtres autour de toi ne vaux pas grand-chose, je sais.
    — Mais non pas du tout.
    — Si, si , laisse moi te dire que je ne suis pas dupe, je sais qu’après m’avoir demandé à aller revoir la ville, la fontaine, les parc d’attraction, les restaurant au bord du fleuve, n’est-ce pas, la liberté, le nez au vent, tu vas vouloir passer un bon moment. Mais les bons moments aussi se paient Bai, les bons moments sont aussi chers que les mauvais. La douleur c’est aussi le prix à payer Bai. Tu ne sais pas qui je suis, tu ne sais pas qui est mon mari.
    — Je crois que je sais...
    — Et de plus je crois savoir que tu vas revenir pour longtemps ici car sinon pourquoi vienstu aujourd’hui. Pourquoi maintenant et pas il y a deux ans, Bai ? Tu es bien passé en ville il y a deux ans, n’est-ce pas ?
    — Oui en effet.
    — Et tu veux encore me voir, tu veux encore te promener sur le bord du fleuve, Bai ?
    — En effet.
    — En effet, oui tu veux que je sois là disponible pour te recevoir, mais moi aussi j’ai à faire et ce soir et demain et la semaine prochaine et dans deux ans aussi je serai en train de m’activer et de nettoyer et de ranger tout ce désordre et de faire que ce monde soit propre ; ce monde c’est le mien voix-tu Bai, mais c’est aussi celui de mon fils, c’est celui de Elia aussi et de sa fille, c’est mon mari, son travail, notre foyer. Tu sais ce que c’est un foyer Bai ? Non je ne crois pas, tu es le vent, le souffle qui traverse la prairie. Tu n’as pas de foyer, n’est-ce pas ? Alors Bai, soit charitable et ne me demande pas de passer une soirée, ni demain ni plus jamais.
    — Et cette Elia travaillait avec vous auparavant ?
    — Laisse Elia tranquille, ne t’occupes pas de nous, je t’en prie. Va ton chemin, mon beau, tu sauras trouver des âmes plus charitables que moi.
    — Bien.

Il se leva, voulu vers elle, puis se ravisa.
— Comment va Jon ?
— Bien, il est devenu capitaine de bateau. Il a fini l’école navale et mon mari lui a trouvé un poste au Ministère de la Marine mais il a préféré partir en mer.
— Tu le saluera de ma part.
— Non, Bai. Je ne lui dirai rien, je ne parlerai pas de toi, ni à Jon, ni à mon fils, ni à mon mari. Elia saura aussi oublier ton passage, c’est mieux ainsi.
— Si tu le dis, dit Bai.

Et il s’avança vers la sortie. Ira se leva derrière lui et il s’attendait à ce qu’elle le dépasse pour ouvrir la porte, en vain. Il se retourna et la vit debout au milieu de la pénombre. Un rayon de soleil s’immisçait dans la pièce et lui baignait les pieds de lumière. Ses fines chevilles, celles qu’il avait tant caressées, étaient totalement immobiles.
Il ouvrit rapidement la porte. En la refermant il senti une bouffée de chaleur. Il respira profondément.

Posté le 10 février 2004